L'homme


Suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur. " (Ephés. 5,2).



Ces paroles peuvent être le résumé du programme de vie et d'apostolat du Serviteur de Dieu Jean-Léon Le Prevost, qui a fait de la charité la lumière de son apostolat. Il le développait en ces termes : "c'est la charité qui nous emporte et nous enveloppe dans son action. La charité ne faillit pas et ne reste pas en chemin ; une fois allumée, il faut qu'il s'étende, brille et porte au loin sa chaleur. Tout lui sert d'aliment. N'ayons dons pas peur, chers amis, ne regardons pas trop à notre indignité, qui nous arrête souvent et nous rend timides ; la charité, comme la flamme, consume et purifie. " (Lettre du 26 août 1847).

Ce généreux, cet ardent disciple du Christ est né en Normandie dans la ville de Caudebec-en-Caux, quelques années après la Révolution Française, le 10 août 1803, de Jean-Louis Le Prevost et de Françoise Catherine Pitel, qui décédait l'année suivante. Alors son père épousa Rosalie Duchatard, qui fut, pour Jean-Léon, une excellente mère, une éducatrice empressée et attentive et un modèle vivant de fidélité au Seigneur et à ses commandements. À la mort de son père il dut abandonner ses études pour aider sa famille et il renonça à sa part d'héritage, en disant : "Mon éducation me suffit".

Pendant quelques années il s'adonna à l'enseignement en divers endroits. À Lisieux, il logea avec des prêtres ; c'est alors qu'il songea à devenir prêtre, mais sa famille s'objectait ; aussi il ne poursuivit pas son projet. Rendu à Paris, il négligea la pratique religieuse pendant quelques années. Il fut employé au Ministère des Affaires ecclésiastiques et de l'Instruction publique. Il fréquenta les grands écrivains français de l'époque et s'intéressa à la littérature. Revenu à la pratique de la vie chrétienne, il se donna aux œuvres de miséricorde et il devint membre du groupe naissant qui, autour d'Emmanuel Bailly, venait de fonder la Société de Saint-Vincent de Paul. Il connut parmi eux le Bienheureux Frédéric Ozanam et, comme ce serviteur de Dieu, il se consacra au service des pauvres et à la consolidation et la diffusion des conférences. Il fut longtemps Président de la Conférence de St-Sulpice de Paris et fut le fondateur de l'association de la Sainte-Famille, pour la formation religieuse des familles pauvres.

Enflammé de la charité du Christ. Il eut plusieurs initiatives en faveur de différentes catégories de pauvres, comme, par exemple, les orphelins, les ouvriers, les prisonniers, les étrangers ; il ouvrit une bibliothèque pour les pauvres, et en fit un instrument de progrès humain et spirituel. "La charité nous pousse et nous presse, nous sommes mus par elle ; par elle, si ardente si puissante ; par elle, force, volonté, amour, amour infini, amour de Dieu" Et il nourrissait son amour pour Dieu et pour le prochain avec la prière fervente, la piété eucharistique et la dévotion envers la Sainte Vierge.

Chaque matin, il puisait la grâce, la force et le zèle des âmes dans le Sacrifice de la Messe célébrée dans la Chapelle des Prêtres de la Mission, et également dans l'oraison qu'il faisait auprès de la châsse de saint Vincent de Paul, son Patron céleste. C'est en ce lieu qu'il eut l'inspiration de rassembler un groupe d'apôtres qui se donneraient, non seulement partiellement ou à l'occasion, mais à plein temps aux œuvres de charité.

Ainsi poussé par la grâce divine, il fonda en 1845 l'Institut des Religieux de Saint-Vincent de Paul, qui ne comprenait qu'un seul membre, Clément Myonnet. Ce dernier reçut la mission d'aider les jeunes apprentis. La petite semence, cultivée avec soin par le Serviteur de Dieu, germa, fit de grandes racines, petit à petit devint un arbre robuste et donna de nombreux fruits. Au début, comme Jean-Léon était marié, il accompagna son Œuvre et, même s'il n'en faisait pas partie, il en était le directeur. En effet, sur l'avis de certains conseillers ecclésiastiques, il avait épousé, en 1834, Aure Etiennette De Lafond (1785-1859). Ce fut un mariage particulier, puisque les deux conjoints s'entendirent pour vivre en frère et sœur.

Après avoir mis sur pied l'Institut des Religieux de S. Vincent de Paul, après avoir été libéré par le consentement de son épouse, il put suivre sa voie sans empêchement, se donner aux œuvres de charité et se consacrer au Seigneur. En 1850 le petit groupe du début accueillit un prêtre, le Serviteur de Dieu Henri Planchat ; c'est ainsi que la Congrégation se constitua de prêtres et de laïcs. Après cinq autres années la communauté comptait dix-sept profès, dont trois prêtres. Bientôt surgit le problème juridique de l'Institut, composé de frères et de prêtres, ayant pour Supérieur un religieux laïc. C'est pourquoi le Serviteur de Dieu, devenu veuf en 1859, put poursuivre son premier désir du sacerdoce et le 22 décembre 1860 il fut ordonné prêtre. Comme fondateur et supérieur général, aidé conseillers prudents, il écrivit petit à petit les Constitutions de l'Institut ; celles-ci reçurent le décret de louange du Saint-Siège en 1869.

Comme il était un homme humble et qu'il tenait compte du point de vue des autres, il faisait confiance à ses assistants et à ses fils spirituels et désirait que chacun prenne ses propres responsabilités ; il écrivait : Examinez ces raisons devant Dieu, (il faut lui parler de tout) et faites pour le mieux : "Je suis disposé à me rendre à son avis, aimant mieux m'en rapporter à son sentiment qu'au mien propre".

Avec sa prudence et sa charité, il surmontait les difficultés qui se présentaient dans la formation de la nouvelle Famille, et en toute circonstance il se laissait conduire par l'Esprit Saint. Dans le premier Règlement il écrivait : "il nous convient d'être dociles, d'ouvrir l'oreille de notre cœur pour entendre sa voix, d'être attentifs pour observer les mouvements de sa sagesse et de céder aux moindres impulsions de sa grâce."

En 1871, pour raison de santé, il fut contraint de remettre le fardeau de la Congrégation à son Vicaire Général et il se retira humblement dans une maison de formation pour le reste de sa vie : "Je rassemble, disait-il, les quelques forces qui me restent pour demander à Dieu qu'il conserve la petite communauté dans l'esprit de saint Vincent de Paul, dans l'humilité, la simplicité et la charité". Soumis à la volonté de Dieu, il progressa dans la voie de la sainteté, cultivant avec très grand soin, persévérance et joie spirituelle, son sacerdoce et sa consécration religieuse. Il fut pour tous un exemple de foi vive, de confiance indéfectible en la Providence, de patience et de force dans les difficultés et dans ses responsabilités envers Dieu et dans le service du prochain. La charité, l'humilité, la douceur, l'amabilité, le mépris des choses du monde, l'intégrité des mœurs, l'amour de l'Église, le zèle pour le Règne de Dieu, le rendirent précieux devant Dieu et devant les hommes.

Même les reproches, qu'il devait adresser à ses frères pour les corriger, laissaient paraître la bonté et la courtoisie ; il n'offensait ni ne blessait personne. L'un de ses religieux affirmait : "Il savait ce qui n'est pas donné à tout le monde, faire des observations à ses sujets, sans les blesser". Il sut réinventer dans la société de son temps l'image du Bon Samaritain et de saint Vincent de Paul, en diffusant la lumière de l'Évangile dans les milieux urbains, où régnait davantage l'injustice et les pauvretés matérielles et spirituelles. Et comme il ne comptait pas sur ses propres forces, mais sur le secours du Ciel, il nourrit son activité d'une profonde vie intérieure et il sut balancer avec sagesse dans sa vie, action et contemplation, prière et apostolat. Un grand soin pour le bien de la jeunesse, des ouvriers et des pauvres et sa ferveur à suivre le Christ sont le merveilleux et admirable exemple, aujourd'hui encore, de la fidélité à sa propre vocation et à son engagement.

Il termina son pèlerinage sur la terre en s'abandonnant au Sacré Cœur de Jésus le 30 octobre 1874 et fut enseveli dans la chapelle de la Maison de Chaville, au diocèse de Versailles. La réputation de sainteté, qui éclatait durant sa vie, continua de briller après sa mort.

C'est pourquoi sa Cause de béatification et de canonisation commença au diocèse de Paris par l'Enquête ordinaire (de 1937 à 1943) ; la Congrégation des Causes des Saints l'approuva par le décret promulgué le 5 juillet 1992. Entre-temps l'Office historico-hagiographique du Dicastère avait recueilli la documentation historique concernant le Seigneur de Dieu. La Session des Consulteurs historiques eut lieu le 25 octobre 1988. Les Consulteurs Théologiens, réunis en congrès particulier le 17 mars 1998 affirmèrent que le Serviteur de Dieu avait vécu les vertus d'une manière héroïque. Le 10 novembre de la même année les Pères Cardinaux et Évêques, réunis en Session ordinaire, reconnurent que le prêtre Jean-Léon Le Prevost avait vécu les vertus théologales et cardinales d'une manière héroïque.

Finalement, après un rapport détaillé de tout le dossier au Souverain Pontife Jean Paul II présenté par le soussigné Préfet, Sa Sainteté, considérant l'avis de la Congrégation des Causes des Saints et le déclarant valable, demanda d'édicter un décret sur l'héroicité des vertus du Serviteur de Dieu.

Ceci ayant été fait exactement, le Saint Père a déclaré solennellement reconnaître, chez le Serviteur de Dieu Jean-Léon Le Prevost, prêtre et fondateur de l'Institut des Religieux de S. Vincent de Paul, et cela à un degré héroïque, l'existence des vertus théologales de Foi, d'Espérance et de Charité tant pour Dieu que pour le Prochain, ainsi que des vertus cardinales de Prudence, Justice, Tempérance et Force et des vertus annexes, dans le cas et à l'effet dont il est question.

Le Souverain Pontife a demandé de rendre de droit public le présent décret et de l'inscrire aux Actes de la Congrégation des Causes des Saints.



Donné à Rome ce 21 décembre de l'An du Seigneur 1998.

Joseph Savaira Martins, Préfet

Edouard Novak, Secrétaire


" Nombreux sont ceux qui, en cherchant à découvrir Jean-Léon Le Prevost, se découvrent en lui. Les enfants qui n'ont jamais connu leur mère, les jeunes qui n'ont pu compléter leurs études faute de ressources matérielles, les étudiants dont la foi s'étiole au contact de l'incroyance, les adultes déçus dans leurs aspirations intellectuelles, politiques ou socio-religieuses, les personnes qui doivent accepter un travail inférieur à leur talent, les conjoints mal assortis qui vivent un douloureux calvaire avant de se résigner à la séparation, autant de catégories humaines auxquelles Jean-Léon Le Prevost a appartenu au cours de sa vie "

(Mgr Maurice Couture, archevêque de Québec).